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Le Kyudo des étudiants

Dernière mise à jour : 22 juil. 2019


Lorsque j'écrivais le scénario de Mato no Muko, Au-delà de la cible, il me paraissait évident de montrer un Kyudo que peu d'occidentaux connaissent : celui pratiqué par de très nombreux jeunes au Japon, au collège, au lycée et à l'université. Ceux qui ont vu des tournois de jeunes pensent souvent de manière un peu condescendante : “Ce n'est pas du vrai Kyudo !“.


Mon fils Camille, comme beaucoup d'enfants, a voulu imiter ses parents en tâtant du Kyudo dès l'âge de 8 ans. Plus tard il a fait une partie de ses études à l'université de Chuo à Tokyo. Il a absolument voulu profiter de cette opportunité pour s'inscrire au Bukatsu de Kyudo de l'université. Grâce à cette expérience inédite il a pu m'introduire dans ce club où nous avons filmé des séquences étonnantes, puis interviewé quelques étudiants. A l'époque, le Shihan du Bukatsu de Kyudo de Chuo était Ishikawa Sensei. Aujourd'hui encore, quand je le rencontre, il me demande : “Comment va Camille ?“


Si l'on dit que “Le Kyudo c'est la vie“ (Sha soku Jinsei), n'oublions pas que l'adolescence est une étape de la vie...


Les cinq étudiants qui se présentent ci-dessous ont accepté de répondre aux questions de mon ami David Zoppetti qui a ensuite assuré la traduction française.


Erick Moisy


— Je m’appelle Ryo Asai et je suis élève de première année. J’ai commencé le Kyudo quand j’étais au lycée. J’ai pensé en voyant un Sempai tirer qu’il avait de la classe et c’est cela qui m’a incité à commencer.

— Je m’appelle Kohei Sonoda et je suis en troisième année. La raison pour laquelle j’ai commencé le Kyudo est qu’à l’époque du collège, un Sempai que j’admirais beaucoup en faisait, et j’ai suivi le même chemin. C'était un garçon...

— Je m’appelle Shiori Takashima et je suis en deuxième année. J'ai été attirée par la forme de l’arc.

— Je m’appelle Kanako Moriyama et je suis en troisième année. J’ai commencé le Kyudo au lycée parce que je trouvais l’accoutrement des tireurs très “classe”.

— Je m’appelle Mina Narimatsu et je suis élève de quatrième année. J'étais intéressée par les Budo et dans mon collège il y avait un club de Kyudo. Je me suis inscrite.



DZ : On considère que le Kyudo est un Budo, mais en vous observant à l’entrainement et en entendant parler des compétitions universitaires, on a l’impression que pour vous c'est surtout un sport. Le Kyudo universitaire est un Budo ou plutôt un sport ?


— A l'université, dans la mesure où l’on met beaucoup l’accent sur le Tekichu, je dirais que c’est plutôt un sport. Au lycée on réclamait de nous un tir très pur et élégant. Quand j’ai commencé à tirer à l’université, j’ai été vraiment étonnée car c’était extrêmement “sportif”. Le Kyudo universitaire est sportif, mais le Kyudo des lycéens ou celui pratiqué par les adultes est plus proche du Budo, je pense.


— Dans mon cas, déjà au lycée on réclamait de nous le Tekichu avant tout. Le Shakei n’était pas important.


— Ouais il fallait cibler, gagner la compétition et monter plus haut dans le championnat. Si l’on ne gagne pas cela n’a pas de sens.


— On pense aussi un peu à l’aspect du Budo, mais pas beaucoup. Plutôt que la forme, on est concentré sur la victoire et sur le fait de progresser dans le championnat. Ce que l’on réclame de nous c’est un résultat.


DZ : En quoi le Kyudo peut-il être un Budo ?

— C’est l’aspect spirituel. C’est un état d’âme. En allant plus au fond des choses… on peut travailler la forme du tir autant qu’on veut, mais à la fin c’est l’état d’esprit qui permet de vaincre. On ne peut pas vaincre sans la force de l’esprit. Dans un sport d’équipe, si on n'est pas en forme, les autres membres peuvent venir nous encourager et nous remonter le moral. Mais le Kyudo, quoi qu’on en dise, c’est une discipline individuelle dans le sens où l’on se bat contre soi-même. Ceci est vraiment un aspect de “Budo”. La cible ne bouge pas, les instruments que l’on utilise sont les mêmes, mais si on n'arrive pas à réaliser son but, c’est parce qu’on est influencé par son état d’esprit. Ceci me fait penser que le Kyudo est vraiment un Budo.

DZ : Quels autres aspects de “Budo” pouvez-vous trouver dans le Kyudo universitaire ? Est-ce différent des autres Bukatsu (clubs universitaires) ?

— De s’asseoir en Seiza, de se dresser dans une position parfaitement droite, c’est plus sévère que les autres Bukatsu. La manière de s’exprimer ou de saluer son entourage est aussi très différente et les autres étudiants sont toujours surpris, on est toujours en train de dire “Shitsurei Shimasu” (excusez-moi), je pense que ces aspects sont proches du Budo.

DZ : Vous avez dit tout à l’heure que malgré que le Kyudo soit un sport d’équipe, au moment décisif, c’est un combat personnel contre soi-même.

— Si l’on ne tire pas ses flèches en pensant qu’elles appartiennent à l’équipe, on risque de ne pas gagner une compétition qu’on avait le potentiel de remporter. Une équipe qui n’est pas soudée est une équipe faible. Oui, je pense que je tire plus souvent en me disant que ma flèche appartient à toute l’équipe plutôt qu’à moi seule.


— Le concept de la flèche de l’équipe est très important. Bien sûr, l’acte de faire voler la flèche, on l’accomplit de manière personnelle, mais le Tekichu, il est pour l’équipe. Oui je pense que cet aspect est important.


— Bien sûr, le concept de la flèche pour l’équipe est très présent. Mais parfois on y pense trop et on se dit qu’on doit cibler à tout prix et c’est trop lourd à porter. Il en résulte que l’on n’est pas concentré sur ce que l’on fait. Pour éviter cela, il faut faire en sorte de ne pas se mettre soi-même trop de pression. Mais je dois avouer qu’on finit toujours par penser que c’est la flèche de l’équipe, une flèche qu’on ne peut pas se permettre de manquer et la pression est grande.


— Quand on tire, ce n’est pas seulement “la flèche de l’équipe”. Le Kyudo semble une discipline individuelle, mais les liens qui nous soudent dans l’équipe sont très forts. Si la personne devant nous cible, cela peut enlever de la pression, ou au contraire nous faire nous dire qu’on doit continuer dans la même direction. C’est difficile à expliquer, mais il y a un sentiment d’unité.

DZ : Dans beaucoup de Dojo les pratiquants adultes tirent dans le silence. En vous voyant aujourd’hui, nous avons été surpris par vos cris. Quel est le but ou la signification de pousser tous ces cris ?

— Cela fait monter l'énergie et cela nous motive. On a vraiment le sentiment qu’on est tous ensembles et moi personnellement je tiens beaucoup à donner de la voix.


— Dans mon cas, au lycée je pratiquais le Kyudo dans le silence total. Et si je compare cela à ce que nous faisons maintenant, en tirant dans le silence total, on est vraiment très seul, on est toujours en face-à-face avec soi-même, et c’est très pénible. Ici, dans ce brouhaha général, on se sent vraiment encouragé par tous les participants. C’est un sentiment très fort. Cela peut se transformer en pression, mais fondamentalement cela nous rend plus forts. Je pense qu’il y a des aspects positifs dans ces deux formes de pratique.


— Je suis récemment devenue amie d’un membre du club de Kendo. En Kendo si on ne pousse pas de cri (Kiai) au moment de la frappe, cela ne compte pas comme un point. Je me dis parfois que cela ressemble un peu au Kyudo. Enfin je ne suis pas trop sûre (rires…). Mais je pense que de pousser des cris permet d’augmenter une bonne forme d'énergie et de concentration. Oui je pense que de donner de la voix c’est positif.


— Moi je pense que le Kyudo des étudiants doit avoir de la dynamique. Que ce soit au niveau du lycée ou au niveau de l’université. Du moment qu’on est étudiant, on se doit d’être jeune et plein d’enthousiasme (dans le fond rires et commentaires: “tu parles comme un petit vieux”…). Comparé à cela, je pense que le Kyudo des adultes est plus serein, plus traditionnel. Pendant qu’on est jeune on doit être débordant d’énergie.


— Je partage entièrement son opinion. La jeunesse se doit d’être dynamique.

DZ : Quand vous aurez fini vos études universitaires, pensez-vous continuer le Kyudo ?

— Moi je viens de prendre ma retraite du Bukatsu. De ce point de vue votre question me concerne beaucoup. Pour le moment, la saison des compétitions vient de se terminer et je ne sais par trop quoi penser. Je n’arrive ni à me dire que je devrais continuer ni à me convaincre que je devrais m’arrêter. Mais on dit souvent que le Kyudo est une “discipline pour la vie” que l’on peut pratiquer à tout âge, donc je voudrais tirer à nouveau un jour.


— Moi aussi je tiens à continuer. Quand j’ai commencé à tirer au lycée, je me suis dit que je voulais pratiquer le Kyudo toute ma vie. Quand j’étais au lycée je me suis même acheté mon arc pour pouvoir continuer à pratiquer quand je serai dans la vie adulte. Même si je suis très prise par mon travail, je voudrais continuer à tirer, et si je me mariais et que j’avais des enfants m’éloignant quelques temps du Kyudo, je voudrais reprendre cette activité même si je suis plus âgée.


— Comme j’ai commencé le Kyudo à l’université, au niveau émotionnel c’est encore un peu flou, mais je me dis que je serais heureuse de pouvoir continuer le Kyudo toute ma vie.


— Pour le moment j’ai la tête prise par la saison de l’année prochaine et c’est difficile de m’exprimer sur la question, mais si après l’université je réussi à trouver un travail, je pense que je voudrais continuer.


— Moi je crois que je vais brûler toute mon énergie au niveau de l’université (rires dans le fond…). Et si je devais reprendre la pratique un jour, ce serait après ma retraite, quand je serai vieux.

DZ : Pensez-vous que vous pourrez retirer quelque chose de votre expérience du Kyudo dans ce Bukatsu qui vous serve dans la vie professionnelle?

— Moi je viens de faire des recherches d’emploi et je me suis rendu compte que ce que l’on étudie à l’université ne sert pas à grand chose. Par contre ce que j’ai appris par le biais du Kyudo, à savoir les règles de hiérarchie, la manière de communiquer avec les gens m’est très utile. Je pense que le Reigi et le Saho sont vraiment un plus. Je pense avoir développé une certaine force de caractère. Je suis forte face à l’adversité. Les Sempai des autres clubs ont un sentiment positif à mon égard et on dit de moi que je peux être utile. Je me dis que ce sera la même chose quand je serai dans la vie adulte.


— Je pense aussi comme ma Sempai. Comme c’est un Budo, avec un “Do” donc une voie, cela s’applique à tous les aspects de la vie. Ce que j’apprends dans ce Dojo, si je veux le mettre en pratique plus tard, je suis certaine que ce sera possible. Tout particulièrement les relations humaines, mais aussi la force de caractère. Je pense vraiment que l’aspect psychologique me sera utile dans la vie adulte.


— C’est la même chose pour moi. Moi aussi je pense qu’une connaissance correcte des relations hiérarchiques est importante. De savoir comment se comporter, comment parler, je l’ai appris ici. De plus, j’ai appris par le biais de ce Bukatsu que si l’on fait de son mieux tout est possible.


— C’est pareil pour moi. Si on est prêt à faire des sacrifices, tout est possible. J’ai tenu le coup pendant des moments très sévères et je me dis que je pourrais faire de même dans la vie adulte.


— On m’a souvent dit que de tirer à l’arc est un loisir qui n’a rien à voir avec la vie. Mais ce que j’ai appris dans le Bukatsu de Kyudo c’est comment se comporter avec des gens qui sont des Sempai, et cela me sera utile plus tard.


Si vous voulez éduquer votre corps, vous devez d'abord être juste, si vous voulez être juste, vous devez être sincère.

Ryo, Kohei, Shiori, Kanako, Mina

Tokyo 2010


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