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Kyudo au Kashima Jingu 鹿島神宮

Dernière mise à jour : 11 juil. 2019


Jusqu'au 5ème siècle de notre ère, le Japon est une civilisation orale. Il n'existe aucun document écrit avant cette époque. Mais c'est déjà une très ancienne civilisation avec sa langue, son organisation sociale, ses légendes, et ses pratiques religieuses, le Shintoïsme. C'est au début du 6ème siècle que le royaume de Corée envoie à la cour impériale japonaise des cadeaux, dont une statue bouddhiste et des textes confucianistes. Les japonais découvre l'écriture chinoise, une langue qui n'a aucun rapport avec le japonais. L'aristocratie se passionne pour cette langue et les philosophies qu'elle véhicule. Les nouvelles religions s'installent en parfaite harmonie avec le Shinto. Il y aura de nombreux syncrétismes entre le Bouddhisme et le Shintoïsme. Les prêtres adoptent le chinois, puis petit à petit la langue écrite se popularise en se transformant et en s'adaptant à la langue originelle, le japonais.


Ce n'est qu'au 8ème siècle que deux écrits importants, le Kojiki et le Nihon Shoki, vont raconter le Japon d'avant l'introduction de l'écriture et vont devenir une référence dans la transmission du Shintoïsme. A cette époque l'arc a déjà une longue histoire, en Chine comme au Japon. Pour la réalisation du documentaire Mato no Muko il m'a paru important de rencontrer un prêtre de l'un des deux principaux sanctuaires shintoïstes les plus réputés pour leurs relations avec les arts martiaux : le Kashima Jingu.


Erick Moisy


Le Kashima-Jingu est un sanctuaire ou est vénéré Takemi no Okami, connu comme dieu de la guerre. Dans la grande forêt qui l'entoure on trouve un Kyudojo. Il y a un lien entre l’histoire de l’arc japonais et les anciennes légendes de ce pays. L’arc, comme c’est le cas dans tous les pays du monde, au tout début fut utilisé comme arme de chasse. A partir des débuts de l’histoire japonaise telle qu’on la connait par les documents écrits, l’arc se développe comme arme de guerre utilisée dans les batailles. Puis avec le passage du temps, l’arc n’est plus seulement une arme de guerre, mais devient aussi un instrument utilisé dans des cérémonies ritualisées.


Najima Hayato, prêtre du Kashima Jingu

L'arc dans les légendes japonaises

Dans les légendes japonaises, l'arc apparait comme une arme divine, ou comme le symbole de la force divine. Par exemple le Hachiman-Sama, un temple où est vénéré le 15ème grand empereur du Japon, Ojin Tenno, le Hachiman-Gu donc, et la divinité qui y est vénérée est le Hondawake no Mikoto. aussi appelé parfois Otomowake no Mikoto. Le mot Tomo désigne l’accessoire que l’on met sur le bras gauche pour éviter que la corde ne vienne le frapper, et cet idéogramme de Tomo est inclu dans le nom de la divinité. Ceci signifie qu’elle est considérée comme le “dieu de l’arc”.

Le Heike-Monogatari est un long récit guerrier écrit au Moyen-Age. Dans ce récit, il y a un archer hors-pair du nom de Nasu no Yoichi qui tire à l’arc vers une cible en forme d’éventail sur la mer en priant les 80 mille Daibosatsu, à savoir le dieu du Hachiman-Shin. C’est un épisode qui illustre comment ce guerrier a prié le “dieu de l’arc” pour qu’il l’assiste.


Il y a un autre exemple qui illustre la relation de l’arc avec les légendes traditionnelles du Japon. Le Shinto est connu comme étant une religion qui vénère de nombreuses divinités. Les japonais des anciens temps pensaient que le soleil, la forêt, la montagne, la nature étaient des expressions divines. Parmi cela, il y avait une croyance que la lune était aussi une divinité. On a appelé cette divinité Tsukiyomi no Miko. Quand on écrit ce nom en Kanji, on écrit “lire la lune” et ceci correspond au calendrier. Aujourd’hui encore on appelle la demi-lune Kagen no Tsuki ou Jogen no Tsuki. Les japonais en regardant la demi-lune pensaient à un arc.


Le Kashima-Jingu et le Katori-Jingu sont considérées comme étant liés l’un à l’autre. Dans chacun de ces sanctuaires il y a un Bushin (dieu de la guerre) qui est vénèré. Dans le cas de Kashima c’est le dieu Takemi-Kazuchi-no-Okami, dans le cas de Katori c’est le dieu Futsunoshi-no-Okami. Ces deux divinités sont très actives dans les légendes du passé. Par exemple il y a un épisode ou ils comparent leur force. Ils apparaissent aussi en tenant un sabre. De là, les dieux de Kashima et de Katori sont appelés les dieux du Budo. Le Hachiman-Shin, le dieu du Hachiman-Gu est considéré comme le dieu de l’arc et de la flèche. Et les dieux du Kashima et du Katori sont plutôt des dieux des combats au sabre. Ces trois dieux sont des dieux du Bu (armes), mais s’il fallait faire une différenciation, il y a les dieux du sabre et le dieu de l’arc et de la flèche.


L’arc est utilisé ou présent dans des sanctuaires shintoïstes comme ici. Dans le cas du Hachiman-Jingu je peux vous parler de trois cas concrets. D’abord au mois de février on fête le Setsubun (l’arrivée du printemps). Lors des cérémonies on lance des fèves. Puis en tirant une flèche, on éloigne les mauvais esprits. On appelle cela Hikime no Gi. On utilise la force de l’arc pour chasser les démons. En même temps on purifie son corps. On protège son corps de la maladie ou des blessures.



Un autre exemple est le Yabusame que vous connaissez certainement. Le Yabusame est une performance où l’on tire à l’arc depuis un cheval au galop. De nouveau une cérémonie où l’arc est utilisé. Le troisième exemple est une cérémonie propre au Kashima-Jingu. Quand on sort les Omikoshi en procession (sanctuaire shintoiste portable), les gens qui marchent derrière tiennent en main des sabres, des flèches, des arcs ou des hallebardes. Ces armes sont considérées comme étant des instruments appartenant à la divinité du sanctuaire et l’arc en fait donc partie. La symbolique de l’arc dans les Jinja ou dans le shintoïsme, est que l’arc est un instrument divin et en même temps un objet qui éloigne le mal. C’est un objet qui éloigne la maladie, la malchance, les choses négatives qui pourraient arriver aux êtres humains. C’est un objet qui purifie le corps.

Le Hama-Ya signifie “la flèche qui transperce le mal”. En d’autres termes, la flèche empêche les mauvais esprits d’approcher. Au Kashima-Jingu comme dans les autres sanctuaires du Japon on distribue des Hama-Ya lors des fêtes du nouvel an. Les festivals et les cérémonies traditionnelles japonais sont basés sur le cycle de la plantation et de la récolte du riz. Quand le riz nouveau est récolté, on en offre au sanctuaire. De la même manière, on considère que le cycle d’une cérémonie dure une année et la tradition veut qu’au début d’un nouveau cycle on rende la flèche Hama-Ya reçue l’année précédente pour recevoir une flèche neuve en échange

Les moines et les armes

Dans le Mon (portail) du Kashima-Jingu, il y a des statues du nom de Zuishin-Zo. Je pense que cela vient de l’ancienne cour impériale. Dans la hiérarchie à la tête de laquelle se trouvait l’empereur il y avait des Bunkan (officiels chargés de l’administration) et des Bukan (guerriers de la cour). Les statues représentent les Bukan, et c’est la raison pour laquelle elles ont un arc dans le dos et un sabre à la ceinture. Elles sont là pour protéger les dieux. Si l’on se rend dans un grand Jinja on va trouver des statues similaires dans le Mon de l’entrée.


Les sohei : moines soldats japonais

Dans le temps, un Jinja était aussi un endroit où l’on entreposait des armes. Par exemple, le Isonokami-Jingu de Nara servait d’entrepôt d’armes pour la cour impériale de l’époque. Dans le temps, la cour impériale régissait le pays, mais elle n’avait pas d’armée ou de police à proprement parler. Ce sont en fait les chasseurs de la région qui en cas de besoin étaient appelés à servir de soldats. Comme c’étaient des nobles, ils n’avaient pas de redevances à payer aux Jinja et de ce fait les Jinja avaient besoin d'eux pour pouvoir se défendre. Et de ce fait dans les Jinja on s’entraînait au combat au sabre ou à l’arc. Par exemple, il y avait un Jinja du nom de Enryaku-Ji où il y avait des Sohei, à savoir des prêtres spécialistes des arts martiaux. D’autres prêtres du nom de Shinin ou Jinin dans d’autres sanctuaires avaient la même fonction. Le Jinja, qui est considèré aujourd’hui comme un lieu religieux, avait dans le temps une fonction qui allait bien au delà de la religion.


Le Shinto dans les arts martiaux

Il y a une certaine proximité, mais entre le Shinto et le Kyudo il y a une profonde rivière. Il y a une différence fondamentale entre le Shintoïsme et le Kyudo, comme entre le Zen et le Kyudo. Il y a souvent un Kamidana dans les Dojo. Le Kamidana est posé comme protection divine du Budo. Il est là pour assurer que les pratiquants soient en sécurité et fassent des progrès dans leur pratique. Mais le concept du Kamidana, ou du Kyudojo en soi, est quelque chose de relativement récent. Quand on se penche sur l’histoire on se rend compte que c’est à l’époque d’Edo (1600 - 1868) que les Kamidana font leur apparition. De la même manière, les Kyudojo ont aussi fait leur apparition lors de la période d’Edo. Jusqu’à cette époque on tirait à l’extérieur, on faisait soit du Yabusame, soit du Kasagake (autre forme de tir à cheval).


Et c’est lors de la période d’Edo que tout cela est passé à l’intérieur et que les Kyudojo ont connu leur apogée. Historiquement, c’est à la même époque que les Kamidana sont apparus. Mais de nos jours, dans la constitution japonaise, il est clairement défini que la religion et la politique doivent être séparés. De ce point de vue, dans les lycées ou les universités publiques, on pratique le Kyudo, mais on doit enlever le Kamidana des Dojo. Pour nous qui travaillons dans des sanctuaires shintoïstes, comme le Budo et le Shintoïsme sont des choses très proches, nous souhaiterions que les étudiants prient devant le Kamidana avant de commencer l’entraînement. Dans le Kyudojo du Kashima-Jingu il n’y a pas de Kamidana. Ceci peut sembler paradoxale, mais c'est parce que le Dojo se trouve dans l’enceinte même du sanctuaire. Les Kamidana ont des effigies en papier que l’on vénère. Donc en adressant ses prières à ces effigies de papier on va symboliquement au-delà du temps et de l’espace à un pèlerinage dans un sanctuaire. Comme le Kyudojo est dans l’enceinte du sanctuaire il bénéficie déjà de la protection des dieux.


En Sumo, après le dernier combat de la journée, il y a une cérémonie avec un arc, le Yumi-Tori Shiki. C’est une danse pour célébrer la victoire du gagnant. Le Yumi-Tori Shiki n’est pas une cérémonie traditionnelle propre au Shintoïsme. On peut dire qu’il y a un lien étroit entre le Sumo dans son ensemble et le Shintoïsme, mais le Yumi-Tori Shiki n’a pas de rapport direct avec le Shintoïsme. C’est vraiment une danse de la victoire et une expression de joie de la part du lutteur qui a reçu un arc. Ou alors c’est une récompense que de recevoir l’arc et de danser avec lors d’une journée où l’empereur est venu voir les combats. Le Sumo est assez proche des Jinja et du Shintoïsme. Le Yokozuna porte une corde décorative lorsqu’il entre dans l’arène, cette corde est la même que celle qui est à l’entrée des Jinja, la Shime-Nawa. Il y a aussi des joutes de Sumo au Kashima-Jingu, une manière d’effectuer un pèlerinage dans un Jinja. Dans les sanctuaires des anciens temps, on pratiquait des combats de Sumo. Les lutteurs faisaient devant les divinités une démonstration des techniques acquises à l’entraînement. De nos jours aussi, au début de l’année les Yokozuna font une démonstration, le Dohyo-Iri au Meiji-Jingu.

Tenno Hai

Chaque année la Coupe de l'Empereur est organisée tour à tour au Meiji-Jingu et au Ise-Jingu. En tant que prêtre d’un Jinja je dirais que le Ise-Jingu est le sanctuaire le plus saint de tous les Jinja du Japon. Il y a un sens d’organiser un tournoi de Kyudo à proximité. Concernant le Meiji-Jingu, c’est un sanctuaire ou l’on vénère l’empereur Meiji, un empereur qui est à l’origine de la modernisation du Japon. Quand Tokyo est devenu le centre du Japon, il y a eu un mouvement populaire pour réclamer la création du Meiji-Jingu. Pour nous, les japonais des temps modernes, le Meiji-Jingu est un lieu très important et il est normal qu’on y organise un tournoi de Kyudo. De plus le siège de la Fédération de Kyudo est à proximité du Meiji-Jingu, il est donc assez naturel d’utiliser ce lieu pour la Coupe de l’Empereur.


Procession au Ise Jingu, Coupe de l'empereur 2011

En conclusion

Je pense que de vouloir être plus fort que l’autre, de vouloir être dans une position dominante, est contraire à l’esprit du Budo. Dans le Budo on fait appel à la force uniquement dans le but de rétablir la paix dans une situation extrême. Je pense que la base du Budo est de recevoir un enseignement d’un maître et de le transmettre à des Kohai pour pouvoir partager une connaissance commune. Je parle d’une “connaissance commune” mais je vois cela comme quelque chose de plus grand. Le Japon dans son entité, la nature… ce sont des choses que les anciens ont protégé et traité avec respect. Ce sont des choses que nos ancêtres nous ont léguées, et je vois ceci comme quelque chose de proche du Budo. Le Shintoïsme est également éloigné de cet esprit d’être plus fort, plus riche ou dans une position plus élevée que l’autre.


Najima Hayato




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