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Rei ni hajimari, rei ni owaru

Dernière mise à jour : 25 janv. 2019

Tout commence par le salut, tout finit par le salut


[EM] Le Kyudo Kyohon (page 95) évoque la grande importance accordée dans les temps anciens par les écoles au tir de cérémonie, le Reisha. Nous connaissons mieux le terme Sharei (mais une équipe qui gagne un tournoi offre encore le Toreisha que l'on traduit par «tir de remerciement»). Mis à part lorsque nous travaillons à l'entraînement des aspects particuliers de la technique, c'est le Sharei qui caractérise l'expression formelle du tir à l'arc traditionnel japonais.

Le terme Sha ne pose pas de problème particulier de traduction : le tir. Mais pour Rei le champ linguistique est beaucoup plus large. Dans un dictionnaire on trouvera : cérémonie, rituel, salut, étiquette, gratitude, remerciement, manière, courtoisie, politesse, comportement, récompense, cadeau...

Merci à Pascal Krieger de nous apporter son éclairage de Budoka en partant de l'étymologie du Kanji «Rei», plus connu dans sa forme simplifiée : 礼.



[1] Le radical, à gauche, se nomme Shimesu et signifie «montrer». La partie de droite se prononce Yutaka et signifie «richesse, abondance».

Etymologiquement donc, les deux parties de ce Kanji mises ensemble signifient «montrer sa richesse». Dans le contexte qui nous intéresse, si vous le voulez bien, décrétons qu'il s'agit ici de richesse «de cœur» ou «d'esprit».


Il est donc important de noter que tout le rituel de l'étiquette, si l'on s'en tient à cette interprétation étymologique, consiste à montrer à travers gestes et attitudes, ce qu'il y a de meilleur en soi. C'est un message d'approche positive pour établir un contact dans les conditions les plus favorables.


Que dire alors de ces rituels peu convaincants où les gestes vides de sens sont assimilés à des simagrées ? Il est certain, à mon avis, qu'une personne dépourvue de richesses intérieures ne peut convaincre par le seul rituel de l'étiquette, aussi beau soit-il ! Mais s'il vous a déjà été donné de voir un individu absolument sincère et intègre faire des politesses à quelqu'un, que ce soit à travers une poignée de main ou un rituel plus compliqué, vous ne pourrez qu'admettre que les gestes rituels de l'étiquette, quelle qu'elle soit, constituent la manière la plus délicate et judicieuse de dire à quelqu'un :

Je vous respecte et, pour le prouver, je me montre sous mon meilleur jour par une attitude déférente et soigneusement étudiée. Cette attitude peut être renforcée par une démonstration de richesses plus concrètes mais toutes relatives : l'addition d'une cravate pour l'être de peu de moyens, le revêtement d'habits de cérémonie pour celui qui peut se le permettre.


Le Budo met à notre disposition un rituel très riche. A nous d'harmoniser notre attitude intérieure avec la richesse de ce rituel et de le rendre convaincant.


Un rituel universel

[2] Même si cela peut prendre les formes les plus variées, établir un contact par un message d'approche positive semble être un rituel universel, et pas seulement chez l'être humain. Lorsque deux animaux de la même espèce se rencontrent (certains s'évitent soigneusement), ils échangent des informations. En simplifiant, celles-ci passent par le canal des sens et indiquent principalement deux éléments plus ou moins imbriqués : le degré d'agressivité et la reconnaissance de l'appartenance.


Il est intéressant de noter que la distance, le Maai, notion commune à tous les arts martiaux, joue un rôle dans les deux aspects. Il existe en effet ce que l'on appelle la distance de fuite, qui correspond à la distance minimale en deçà de laquelle un individu ne se sent plus en sécurité (elle sera donc différente selon qu'il s'agit d'une antilope ou d'un ours). De plus cette distance pourra être nulle lorsqu'il s'agit d'un mâle ou d'une femelle en rut, alors qu'à la même époque elle existera bel et bien pour deux mâles.


L'individu en face de moi est-il potentiellement dangereux ? Porte-t-il une arme, si oui est-elle prête à servir et suis-je hors de portée ? Est-il agressif, indifférent ou amical?


Pour répondre à ces questions, l'homme fait appel en grande partie à son bon sens instinctif... Par exemple, les mains bien en vue sont un gage de sécurité, et l'on connaît de multiples cas de convenances qui bloquent ces membres lors d'un salut. Il n'est que de citer les mains jointes à la hauteur de la poitrine chez certains asiatiques (il n'y a pas de contact physique), ou, chez nous, la main droite mutuellement serrée (car il s'agit de celle qui saisit habituellement une arme).


Si les individus sont armés, le fait que l'arme soit dans un fourreau et qu'elle nécessite plusieurs mouvements pour la rendre utilisable indiquera une situation neutre à cet instant. A certaines époques où porter une arme fait partie de l'habit, il s'agit là d'une rencontre normale. A noter que dans le Kyudo ce sont des considérations de cet ordre qui ont déterminé par exemple si c'est du pied droit ou du pied gauche que l'on entre sur le Shajo et qu'on en sort, qu'on avance ou qu'on recule...


A ces aspects du comportement s'ajoute le langage. Il permet à l'humain de prononcer, selon la situation et l'usage, des phrases (malheureusement souvent creuses) qui sont autant de clés favorisant ou non la suite de l'entrevue, et situant les individus l'un par rapport à l'autre. Car la parole et l'attitude permettent de confirmer, ou de nier, la hiérarchie (classe, caste, rang, âge, sexe selon les lieux et les époques) ou le degré d'intimité.


Le contexte historique

Dans certains pays comme le Japon, le langage corporel a toujours eu et a souvent gardé une dimension toute particulière. Kenji Tokitsu remet dans une perspective historique ce que le touriste qui visite le Japon appelle des courbettes.

[3] Le modèle de référence des gestes quotidiens enseigné aujourd'hui encore tant à l'école qu'à la maison sous-entend qu'une personne sera appréciée pour la sincérité avec laquelle elle se met entièrement dans ses gestes. Sincérité veut dire ici concentration de la personne entière dans le geste qu'elle est en train de réaliser. Ce qui présuppose qu'un acte est l'expression totale de l'être humain, et qu'il sera bien fait parce qu'il est fait avec cœur et renvoie à une relation avec autrui.


La notion féodale de sincérité implique le respect de l'ordre moral et social; il s'agit de la sincérité avec laquelle on accepte sa condition. Dans l'accomplissement de son geste, le domestique manifestera avec dignité le respect qu'il doit à son maître, la femme témoignera de sa soumission et de la convenance de ses sentiments. Se mettre entièrement dans le geste, c'est manifester à celui vers lequel il est dirigé, effectivement ou virtuellement, l'acceptation et la reconnaissance du rapport dans lequel on se trouve avec lui. Mais cette forme d'action ne peut être accomplie que si un consensus social la sous-tend.


Le registre des gestes de chaque condition était limité : aussi ceux-ci requéraient-ils la plus grande attention. La perfection du geste procède d'une forme d'intériorisation : trouver l'expression de la personne totale dans les limites imparties par sa condition.


Dans la culture japonaise il est appréciable que rien dans la personne ne reste étranger à l'acte qu'elle accomplit. Le geste, technique ou quotidien, est reçu comme une expression totale de la personne. La répétition assidue orientée vers la progression est, dans l'art, le moyen de s'acheminer vers la perfection recherchée.


Le Rei au Dojo

[4] Lorsqu'on aborde le domaine des disciplines et arts martiaux japonais, il n'est pas rare de ressentir un certain étonnement, voire de l'exaspération devant l'importance donnée à l'étiquette (Reishiki, Reigi-Saho).


D'aucuns assimilent ce rituel à des simagrées inutiles et ennuyeuses qui raccourcissent fâcheusement la durée de l'entraînement proprement dit. Bien que compréhensible de la part d'un néophyte, ce jugement manque toutefois de profondeur. L'étiquette a ses raisons d'être ; des raisons qui ont leur importance.


Il n'est pas facile de dissocier l'étiquette «sociale» de l'étiquette «martiale», ces deux aspects étant très liés dans la société proto-féodale et féodale japonaise : une société divisée en classes bien distinctes avec tout ce que cela implique de rapports compliqués et ambigus. Nous essayerons cependant de nous en tenir à l'étiquette observée dans le contexte et la classe des guerriers (Shi).


L'aspect moral
Jeune samourai de l'époque d'Edo

Une des raisons les plus importantes de l'application des lois de l'étiquette dans le domaine des disciplines et arts martiaux japonais réside dans le fait que le gouvernement d'alors voulait à tout prix endiguer l'ardeur guerrière de la classe des Bushi par un code de moralité très stricte dont les ingrédients principaux étaient le respect hiérarchique, la loyauté et la fidélité, le tout imprégné de notions philosophiques émanant du Shintoïsme, du Confucianisme, du Taoïsme ou du Zen, selon les périodes.


Sans ces garde-fous religieux, philosophiques et moraux, l'esprit belliqueux de ces guerriers, esprit qu'il fallait par ailleurs entretenir, pouvait se retourner à tout moment contre les dirigeants.


Aujourd'hui, les disciplines martiales (Budo) nous invitent à une attitude de paix et d'harmonie au sein d'une société moderne. Toutefois, pour une étude sérieuse du Budo, il est nécessaire d'aborder des notions qui n'ont rien de pacifique en elles-mêmes. Certaines de ces notions sont si précises, si réalistes, que si elles ne sont pas absorbées dans une ambiance morale bien définie, l'étiquette, elles pourraient, chez des individus fragiles, mener à des développements diamétralement opposés à ceux que le Budo encourage.


Ce n'est pas si évident d'apprendre la paix par les armes !

L'aspect gestuel

Une grande partie des gestes rituels qui nous sont familiers ont été codifiés à une époque où le Japon entier n'était qu'un camp militaire. Si l'on prend la peine d'examiner les détails de l'étiquette à la lumière du contexte historique, on se rendra vite compte que ces gestes, par leur sobriété, leur côté logique et pratique, n'avaient qu'un seul but : garder la tête sur les épaules le plus longtemps possible.

Certains de ces gestes furent en tous cas assez importants pour parvenir jusqu'à nous. Malgré l'évolution des arts martiaux (à but pratique) en disciplines martiales (à but mental) il est intéressant de noter qu'on demande aujourd'hui encore aux pratiquants de Judo de se relever de la position Seiza avec le genou droit d'abord, ce qui laissait en effet la hanche gauche libre pour un dégainement rapide en cas de surprise. Voilà l'exemple d'un détail d'étiquette traditionnelle appliqué par des pratiquants qui n'ont pourtant plus rien à voir avec le sabre.


Ishikawa Takeo Hanshi 9ème Dan

Dans le contexte des disciplines classiques où la pratique des armes est prépondérante, l'étiquette conserve toute sa raison d'être, même si le véritable sens de certains gestes a été fortement altéré par l'évolution dont on a parlé plus haut. D'autres détails de l'étiquette, il est vrai, touchent plus particulièrement le comportement humain au sein de la société japonaise d'alors, société raffinée, certes, mais susceptible et exacerbée, où la moindre parole, le moindre geste était chargé de symbolisme et donnait lieu à interprétation.


Si le but principal de l'étiquette n'est plus aujourd'hui d'assumer une attitude adéquate dans un environnement hostile, il n'en reste pas moins qu'une application intelligente des règles de Reigi-saho permet de comprendre toute une série de notions riches d'enseignements. Certaines d'entre elles débordent du cadre du Dojo, ce qui ne les rend que plus intéressantes :

1. L'étiquette prépare mentalement le Shugyosha. Elle favorise la transition de la vie quotidienne à celle plus intense du Dojo. Elle met le pratiquant dans « l'ambiance», en lui faisant exécuter des gestes précis et bien définis


2. L'attention que demande l'accomplissement de ces gestes rituels, parfois compliqués, élimine presque totalement le risque de distraction


3. L'étiquette, souvent considérée comme de la courtoisie, n'est en fait qu'une extension de la notion de Zanshin


4. L'humilité et la discrétion dont est imprégné tout ce rituel encouragent (ou devraient encourager) le Shugyosha à tempérer ses sentiments d'orgueil et de vanité


5. L'étiquette est un élément indispensable au véritable Keiko (voir l'article : «L'esprit de Keiko»)


6. Plus pratiquement, le respect de l'étiquette permet d'éviter les situations confuses propices aux accidents, ainsi qu'une meilleure utilisation de l'espace du Dojo


7. Finalement, l'étiquette, de par sa codification, permet une transmission plus fiable et plus précise des techniques traditionnelles


Il ne faut toutefois pas oublier que l'étiquette ne sert qu'à créer un environnement adéquat pour un travail intense et sérieux. Il ne faut pas, comme cela est quelquefois le cas, que l'étiquette devienne un élément prédominant

[EM] L'équilibre dans l'observance de l'étiquette n'est pas si facile à établir. Le néophyte s'imprègne des codes et usages établis dans chaque Dojo par les enseignants de ce Dojo. On peut observer des comportements hyper révérencieux ou au contraire quasiment irrespectueux. Il faut également tenir compte du contexte, des circonstances. Je peux appeler un ami plus haut gradé que moi par son prénom en privé, mais l'appeler Sensei en public. Lorsqu'on pratique depuis longtemps, que l'on a travaillé avec de grands Sensei, et que dans un groupe on monte en grade, il sera parfois difficile pour certains d'assumer cette position de Sempai. Dans le Dojo où j'enseigne, les nouveaux balaient le Dojo avant et après l'entraînement, et je ne participe jamais à l'installation ou au rangement de l'Azuchi. Si je le faisais, j'aurais l'impression de faire passer le message : «Regardez, je suis beaucoup plus haut gradé que vous et pourtant je fais votre boulot». Une sorte de fausse modestie dont je m'abstiens car je l'assimile à de l'orgueil. Guidés avec bienveillance par les Sempai, les Kohai accepteront ces précieux aspects de leur apprentissage. Dès que j'arrive au Japon, quel bonheur de nettoyer le Dojo et de refaire l'Azuchi.

Plus concrètement

[4] Lorsqu'on veut convaincre, une bonne raison vaut souvent mieux qu'une série de raisons. Malgré l'énumération qui précède, j'espère avoir souligné assez clairement que l'étiquette est un élément indispensable à une étude sérieuse du Budo. Si je suis entré dans les détails, c'est qu'il me paraît primordial de faire comprendre que c'est le «principe» de l'étiquette qui est important, et non sa nature. Chaque discipline, chaque école, chaque maître interprète l'étiquette à sa manière. Ne vous attachez donc pas à l'aspect extérieur, visuel, de ces gestes ou de ces attitudes, mais plutôt au sens profond qui s'en dégage.


Si, dans un Dojo, on vous demande de tenir votre arme d'une manière différente de celle qu'on vous a enseignée jusque-là, soyez souple, adaptez-vous, ne serait-ce que pour un soir. Vous ne retiendrez de ce rituel différent que le message semblable à celui que vous connaissez déjà : «Prépare-toi à travailler dans l'esprit du Budo !».


Kyudojo du sanctuaire Shinto de Kashima

Paroles de Sensei

Pour terminer cet article, car il n'y a pas de conclusion pour un sujet aussi vaste, voici deux extraits d'interviews du tournage de Mato no Muko.


Okazaki Hiroshi Hanshi 8ème Dan

Il y a le Shinzen-Reihai (le salut devant le Kamidana, ndt). Et comme le Kamidana est divin, vu d’une perspective occidentale on pourrait voir cela comme un acte religieux. Mais cela ne se rattache pas à un quelconque mouvement religieux. C’est simplement qu’il y a le dieu du Budo dans le Kamidana et qu’on le salue. On lui dit “Yoroshiku Onegai Shimasu”, on lui exprime notre reconnaissance de pouvoir utiliser le dojo et on lui transmet que l’on va tirer. A la fin on lui dit aussi “Arigato Gozaimasu”. Ce n’est que l’expression de notre reconnaissance de pouvoir utiliser le Dojo, de nous trouver dans une situation sociale qui nous permet de pratiquer le Kyudo. Ce Kamidana c’est l’objet de notre reconnaissance. Je pense qu’on pourrait le formuler comme cela. Cela s’arrête là. Certaines personnes peuvent avoir l’impression que c’est religieux d’effectuer le Shinzen-Reihai, mais ce n’est rien de plus qu’une simple gestuelle qui fait partie du Kyudo.



Yoshimoto Kiyonobu Hanshi 9ème Dan

C'est “Le poème du Chemin“ rédigé par ma grand-mère Morikawa Riu :


Le chemin que tu vas emprunter aujourd’hui

C’est un nouveau chemin,

Un chemin où tu ne peux pas revenir en arrière.

Il faut être humble ,

Exprimer sa reconnaissance, tout le monde en est capable.

Il faut dire “Ohayo” avec un sourire aux lèvres

Il faut être reconnaissant en disant “Oyasumi”

Une vie n’est vraiment pleine que si l’on est empli d’espoir,

De reconnaissance et de réflexion.

Je voulais vous lire ces quelques lignes. C’est grâce au support de tout le monde que je suis devenu 9ème Dan . Je suis rempli de reconnaissance et je tiens à faire de mon mieux pour mériter ce grade.


C’est avec ces lignes dans le cœur que je vais être 9ème Dan…




[1] Pascal Krieger, revue Contact, Août 1990


[2] Serge Dieci, biologiste, disciple de Pascal Krieger en Jodo et calligraphie, revue Contact, Août 1990


[3] Kenji Tokitsu, revue “Critique“, janvier-février 1983 “Dans le bain japonais“.

Kenji Tokitsu, pratiquant d'arts martiaux et chercheur, est le créateur d'une académie d'arts martiaux. Né au Japon, diplômé de l'université Hitotsubashi, il se rend en France pour poursuivre ses études et s'y installer en 1971. Kenji Tokitsu est un universitaire reconnu dans le domaine des arts martiaux : sa traduction du Traité de cinq roues (Go rin no sho) de Musashi Miyamoto et ses ouvrages sur le Karate sont considérés comme des références.


[4] Pascal Krieger, Jodô, la voie du bâton,1989


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