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Sensei, Yoroshiku onegai itashimasu.

Photo du rédacteur: AKTOP Erick MoisyAKTOP Erick Moisy

Dernière mise à jour : 5 juin 2019

Comme beaucoup d'étrangers peu fortunés qui ont choisi de vivre une expérience au Japon, j'ai gagné quelques Yen en donnant des cours de français à des dames qui m'appelaient “Sensei“, ou “Erick Sensei“.


先 Sen signifie “avant/précédemment

生 Sei est à la racine du verbe “naître“, et désigne plus généralement “la vie

Le Sensei est donc étymologiquement “celui qui est né avant“.


Je dois l'avouer, j'étais plutôt flatté quand les élèves à qui je tentais d'apprendre les paroles des “Feuilles mortes“ étaient toutes plus âgées que moi. C'était plutôt curieux d'aller dans la même journée travailler avec mon Maître en l'appelant “Sensei“.


Les seules images en vidéo d'Awa Kenzo (1880-1939) ,

sans doute le plus célèbre des Sensei de Kyudo.

Evolution du mot Sensei

En faisant quelques recherches sur le web, en particulier sur l'excellent site https://www.kotoba.fr et les articles de Guilhem Walter, on apprend que dans le passé le terme de Sensei était uniquement un titre honorifique sans la signification decelui qui enseigne”. Ce titre honorifique se serait par la suite répandu à l’usage pour certains corps de métiers. Les maîtres d’art martiaux, les avocats, les médecins… sans que n’apparaisse encore la notion de “professeur”. Pour prendre un exemple occidental, cela fait penser au “dottore“ italien. A défaut d'un diplôme, le port de la cravate et d'une serviette en cuir fera de vous un très acceptable "dottore" aux yeux d'un chauffeur de taxi ou d'un barman. En fait, il faut savoir que les pronoms personnels (je, tu…) n’existaient pas en japonais autrefois. C’est pourquoi ce titre de Sensei s’utilisait et s’utilise aujourd’hui encore comme un pronom personnel. Lorsqu’on dit à un médecin Sensei tout court, c’est plus proche du sens de “vous” avec une marque de respect que de “professeur”. C’est en tout cas très difficile à rendre en français !


En réalité, l’utilisation de Sensei avec la signification “enseignant/instructeur” est récente. Elle daterait du début du 20ème siècle. auparavant on utilisait les termes Shi 師 ou encore Shihan 師範 “instructeur”. Le développement de l’école moderne a fait que Sensei a fini par devenir synonyme de Kyôshi 教師 “professeur/enseignant”. Guilhem Walter dans le blog écrit : Je vais conclure avec une citation connue : “Sensei to iwareru hodo no baka de nashi“ (先生と言われるほどの馬鹿でなし) :“je ne suis pas bête au point de me réjouir de me faire appeler Sensei“. Elle vise surtout à décrire un usage abusif de cette appellation où à la simple marque de respect habituelle laisse la place à l’intention de séduire/corrompre son interlocuteur. A propos, il paraît qu’à Tôdai (東大 université de Tokyo), il existe une règle interdisant d’appeler Sensei un enseignant qui n’est pas son professeur. Non mais !


“Si je désire avant tout montrer ce que je sais,

c'est parce que je suis orgueilleux

et cherche à être admiré de l'autre plutôt que l'aider.“


Søren Kierkegaard, philosophe danois (1813-1855)

Le Sensei dans les arts martiaux

Noboyushi Tamura, dans son livre “Étiquette et transmission“, explique que dans les écoles d'arts martiaux traditionnelles au Japon, les Ryu, les anciens grades étaient plus simples qu'actuellement. Un premier brevet attestait de l'appartenance de l'élève à une école (c'est l'équivalent du Shodan, premier dan), un deuxième sanctionnait sa progression, un troisième était décerné quand l'élève avait maîtrisé les enseignement essentiels, et un dernier pouvait faire de lui l'héritier de l'école ou le fondateur d'une nouvelle branche de cette école. Il était interdit d'enseigner hors de l'école ou d'accepter un défit avant l'obtention du dernier grade. En conséquence, les enseignants d'arts martiaux étaient tous supposés avoir atteint ce dernier grade, et donc étaient des gens particulièrement qualifiés, et dangereux.


Pour revenir au Kyudo moderne, l'usage est d'appeler Sensei celui qui a réussi le premier titre de Shogo, le Renshi, “instructeur“, puis les deux suivants, Kyoshi, “professeur“ et Hanshi, “maître“. Pour certains d'entre-nous cette dénomination semble suffisamment valorisante pour exposer notre ego à des dangers qui ne serviront pas les valeurs du Budo. Si nous considérons le Kyudo comme un Budo et pas comme un simple loisir, quelle valeur attribuons nous à ce terme si couramment utilisé et malheureusement parfois galvaudé ? Si le Sensei est un professeur que l'on rencontre par exemple à l'occasion d'un stage, nous sommes ses élèves pour quelques heures ou quelques jours. Un des termes japonais couramment utilisé pour définir notre relation avec le Sensei sera Seito 生徒 : Sei est le même caractère que pour Sensei, le deuxième caractère, To, peut être traduit par “élève, inexpérimenté, vide, mais encore vanité, futilité, chose éphémère...“ (itazura, ada). Lorsqu'une relation particulière, plus intime, se crée avec un Sensei, l'élève devient un disciple, en japonais Deshi 弟子 : le premier caractère est traduit “par frère cadet, apprenti, disciple, service déférent aux aînés“ (otooto), le second caractère signifie “enfant ou signe de la première branche“.


Aujourd'hui “Sensei“ est donc un terme très banal, mais avec un champ sémantique très large. Parmi toutes les utilisations possibles de ce terme, le pratiquant de Budo aura à cœur de lire et de méditer le texte de Pascal Krieger tiré de son livre “Jodô, la voie du bâton“ paru en 1989.

Erick Moisy


Sensei, le Maître

Ce personnage mythique, qui est-il ? d'où sort-il ? Comment le reconnaître et où le trouver? Autant de questions auxquelles il serait hasardeux de répondre d'une manière trop catégorique. Comme il est dit à plusieurs endroits dans cet ouvrage, le véritable Maître est très rare.


C'est, en quelque sorte, un homme qui a une vie d'avance sur nous. Quand il était plus jeune, un Guide l'a aidé à parcourir le chemin dans lequel nous nous sommes engagés. Il l'a suivi jusqu'au bout et, après mille difficultés qu'il lui a fallu vaincre une à une, il a atteint la destination finale: l'illumination, le “Do“.


Anzawa Heijiro (1887-1970), disciple de Awa Kenzo

Des milliards d'êtres humains ne partent jamais, des millions tentent le voyage mais finissent par abandonner, quelques milliers seulement parviennent à destination.


Cet Homme est maintenant à nouveau au point de départ, il a bouclé la boucle. Il peut montrer à d'autres le chemin dont il connaît tous les détours, tous les dangers, mais il ne peut marcher à leur place. C'est pour cette raison qu'il sélectionne au départ les bons marcheurs, les voyageurs qui semblent s'être préparés. Malgré ce tri préalable, il sait que beaucoup ne suivront pas longtemps. Trop sont partis surchargés de bagages. La plupart préfèreront rebrousser chemin au premier passage difficile plutôt que d'abandonner leurs richesses matérielles. Il est vrai que certains passages sont si étroits qu'on ne peut les franchir qu'en laissant son ego derrière soi.


Comme tout bon guide qui connaît la longueur et les difficultés de la route, le Maître impose un rythme de marche adapté. Lorsqu'il faudra sauter pour franchir un précipice, il prodiguera conseils et encouragements, il tendra même la main, mais il ne pourra sauter à la place de ceux qui ont trop peur et se verra obligé de les laisser en arrière. Il doit aller de l'avant avec ceux qui ont passé.


Le voyage qu'il a effectué autrefois lui a fait découvrir le monde dans sa globalité. Aussi est-il capable de nous montrer chaque détail de la route et de le restituer pour nous dans le paysage global. C'est la Connaissance.


Mais soyons sincères. Méritons-nous un tel Maître ? Je veux dire par là, sommes-nous prêts à suivre un tel homme ? Beaucoup attendent du Maître qu'il leur donne la “Connaissance“ pendant qu'ils restent assis à le regarder avec des yeux émerveillés. Combien sont prêts à faire les efforts nécessaires pour suivre ce Maître dans un voyage dont les difficultés dépassent tout ce que nous pouvons imaginer ?


En général, l'être humain qui recherche un tel Guide se trouve dans une période de crise, à une époque charnière de sa vie. Déprimé, déçu, il ne croit plus à grand-chose, il erre, désabusé, à la limite du désespoir.


Celui-là, c'est certain, présente un terrain extrêmement favorable à un enseignement ésotérique. Son esprit, déjà bouleversé par le choc des remises en question, offre une terre meuble idéale pour que les graines de la Connaissance puissent y germer dans de bonnes conditions. Cet homme, s'il trouve jamais un Maître, sera vite enclin à troquer ses souffrances inutiles contre les douleurs d'une éducation ésotérique dont chaque spasme le rapprocherait un peu plus de la vérité.


Mais pour beaucoup d'autres, jouissant d'un bonheur relatif, profondément attachés à des êtres aimés ou à une terre, et dont la profession donne les plus grandes satisfactions, où trouver la motivation nécessaire pour partir à la quête d'un tel Maître ?


Aussi, la grande majorité d'entre nous n'a que le guide qu'elle mérite. Un homme comme vous et moi, mais dont l'âge, le grade, l'expérience, le bagage physique et technique excèdent les nôtres. Après quelques années passées à son contact, le fossé technique est comblé. Nous nous retrouvons à ses côtés, fixant l'inconnu du même regard anxieux. Les quelques années d'expériences supplémentaires de ce guide sont impuissantes à nous conduire plus loin car lui non plus ne connaît pas la route. Il se contente de guider les voyageurs sur le tronçon qu'il maîtrise et mérite, pour cela, tout notre respect. Il désignera éventuellement aux voyageurs qui veulent continuer un guide plus expérimenté, s'il en connaît un, ou peut-être en cherche-t-il un lui-même ? Alors, que font tous ceux qui restent, à mi-chemin, sans personne pour les guider plus loin ? Bien qu'il faille louer leur courage, un petit nombre continue seul, sans guide et avec peu de chances d'arriver un jour à destination. D'autres se mettent à la recherche du Guide idéal, cet oiseau rare dont il ne savent pas s'il daignera les prendre sous son aile.


Mais les plus nombreux n'ont pas vraiment envie de pousser plus loin. Le paysage leur plaît, ils s'installent. Ils feront de petites excursions, avec des guides différents, à proximité de l'endroit où ils se sont arrêtés, faute de guide.


Il est une chose très importante, toutefois, qu'il ne faut pas oublier. Tous ceux qui se sont plongés dans une discipline martiale, un jour ou l'autre, ont fait l'effort monumental de partir. Ils ont effectué un bout du voyage en direction du Do. Et s'ils ne l'ont pas encore atteint, ils s'en sont tout de même rapprochés. La première partie du voyage n'a pas été sans difficultés mais s'est révélée riche en enseignements. Même sans guide, en faisant du Budo leur Maître, ils peuvent tous continuer à progresser.


Pascal Krieger Sensei et un élève au SDK Genève

Ils avanceront peut-être moins vite, mais leur entraînement constant préparera le terrain pour que chaque vérité profonde à laquelle ils sont confrontés laisse dans leur esprit une marque indélébile. En attendant ces instants privilégiés, ils continuent de cultiver les enseignements du Budo qui sont suffisamment riches pour satisfaire leur désir de perfection jusqu'à leur dernier jour.


Pascal Krieger 1989


Petit adage

La pratique du Budo se résume à deux difficultés :

  1. commencer

  2. continuer


 
 
 

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